Les ruptures abusives des relations commerciales établies
L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dispose :
« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou une personne immatriculée au répertoire des métiers
De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ».
La jurisprudence est venue préciser les dispositions de cet article.
A-Champ d'application
La Cour de Cassation relève qu'entre dans le champ de l'article précité/
« Toute relation commerciale, que celle-ci porte sur la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service ». Cass ; Com., 23 avril 2003 n°01-11.664.
« Peu importe pour l'application de l'article, que le contrat de distribution ait été conclu pour une durée déterminée et qu'il soit renouvelable ; la notion de relation commerciale établie dépasse celle de contrat commercial à durée déterminée». Lyon, 10 avril 2003.
Les relations commerciales rompues doivent être des relations « établies », notion que la jurisprudence a été amenée à préciser en fonction de leur durée, de leur continuité, voire du volume du chiffre d'affaires qu'elles ont atteint.
Leur continuité est souvent relevée par les tribunaux, qui constatent l'existence d'un courant d'affaires en constante progression ; CA Rouen, 3 novembre 1998.
Aucun formalisme n'est requis concernant ces relations qui sont des relations de clientèle, reconnues en l'absence d'un contrat écrit ;(Cass. Com., 7 janvier 2004, n°02-12.437, Cass. Com., 17 mars 2004, n°02-14.751).
La rupture partielle :
Il n'est pas nécessaire que la rupture soit totale, comme le précise l'article précité. En effet le caractère partiel de la rupture n'exclut pas sa brutalité.
La question s'est posée de savoir si une rupture pouvait être partielle su fait de la simple diminution des commandes ?
Ce type de rupture par réduction du chiffre d'affaires a donné lieu à beaucoup de décisions concernant la rupture partielle.
Il en a été décidé ainsi :
-D'un cas concernant une réduction substantielle des volumes de travaux confiés à un sous traitant, (T. com. Roubaix Tourcoing, 26 novembre 1998 et CA Rouen, 3 novembre 1998).
-D'un distributeur qui diminue de moitié ses commandes auprès d'un fournisseur, alors que le chiffre d'affaire liant les parties était en augmentation constante jusqu'à cette date, avant d'y mettre fin, tout en laissant croire qu'il pourrait reprendre ses commandes sur de nouvelles bases, (CA Lyon, 3ème ch., 15 mars 2002).
-D'une centrale d'achat décidant de réduire le chiffre des commandes à un fournisseur, dont le chiffre d'affaires a considérablement chuté (Cass. Com., 7 juillet 2004, n°03-11.472).
-D'un défaut total ou quasi total de commands traduisant un déréférencement, (Versailles, 22 mars 2002).
Le caractère brutal de la rupture :
La rupture est brutale quand elle a lieu sans préavis écrit. Pour les juges du fond, ce défaut de prévis écrit, prévu par le législateur permet d'établir, de façon automatique, le caractère brutal de la rupture.
Le caractère écrit du préavis n'est pas une exigence formelle.
La rupture peut aussi apparaître brutale si le délai de ce préavis n'est pas suffisant.
La loi du 1er juillet 1996 ne fixait pas de délai , elle précisait seulement que le préavis devait « tenir compte des relations commerciales antérieures, ou des usages reconnus par des accords interprofessionnels ».
Afin d'apporter plus de clarté et de sécurité juridique, la loi du 15 mai 2001 a modifié le texte de l'article L ; 442-6 du Code de commerce pour préciser que le préavis devait tenir compte :
« de la durée de la relation commerciale » et « respecter la durée minimale fixée par des accords interprofessionnels ».
la jurisprudence a apporté des précisions sur ce point.
Dans une affaire où le contrat prévoyait un délai de préavis d'un an, les juges ont estimé que ce délai aurait dû être de dix-huit mois, le distributeur étant « dans une situation de dépendance économique affirmée ». (CA Lyon, 3ème ch., 10 avril 2003)
Il est fréquent que l'auteur de la rupture soit ainsi condamné pour avoir donné un délai de préavis trop bref (CA Douai, 5 décembre 2002)
La brutalité de la rupture résultant de l'absence de préavis écrit, ou de l'insuffisance du délai de préavis, ne saurait être établie par la motivation de cette rupture. La décision de rompre n'est pas subordonnée à un motif légitime.
Seul importe, au regard du délit de l'article L.442-6, I, 5° du Code de commerce, la brutalité de la rupture du fait de l'absence de préavis ou de sa durée insuffisante.
Comme l'a affirmé la CA de Versailles, une entreprise « n'a pas à indiquer le motif de son désir de rompre ses relations commerciales ».(CA Versailles, 10 juin 1999).
La sanction :
En cas de rupture des relations commerciales sans préavis, hormis le cas de force majeure ou d'inexécution de ses obligations pas l'autre partie, la responsabilité des distributeurs ayant pris l'initiative de la rupture doit être retenue et les dommages intérêts à fixer doivent tenir compte de la durée du préavis qui auraient dû être accordé et des conséquences dommageables résultant de l'ensemble du préavis, en gain manqué et perte prouvée. (CA Versailles, 10 juin 1999).
Le fournisseur ne peut obtenir réparation que du préjudice entraîné par le caractère brutal de la rupture et non du préjudice découlant de la rupture elle même. En effet, en acceptant une situation de dépendance et en ne développant pas d'activités nouvelles, le fournisseur a accepté un risque qu'il y a lieu de prendre en compte dans l'évaluation du préjudice. (CA Douai, 15 mars 2001).